DERRIÈRE LE FILTRE :
ALICE AUX PAYS DES SURVOLTÉS

Overdose d’avatars esthétisants, frénésie de filtres édulcorés, déformation du corps en quête de notoriété éphémère... et si la « monstruosité » devenait le nouveau canon de beauté ?

Fascinée par les portraits tortueux de Francis Bacon et les êtres hybrides de Jérôme Bosch, Elsa Lefebvre Aka Sheila Mimosa raconte des histoires oscillantes entre fictions felliniennes et récits décadents de télé « réalité », croisés avec les contes modernes de sa propre saga : « Jardin des Délires », mutation contemporaine du Jardin des Délices de Jérôme Bosch.

À la Villa Arson, côtoyant les étoiles sensibles de Jean-Luc Verna, sa bonne fée punk, qui l’aidera à s’épanouir en tant qu’artiste, ou encore emportée dans les expériences performatives jusqu’au-boutistes de Monster Chetwynd, Elsa est devenue une Alice aux pays des survoltées, naviguant entre transgression, humour, poésie et décadence.

Née dans les années 1980, issue de la « génération du zapping », sa vision du monstrueux s’inscrit dans la tradition du grotesque, là où les codes du mainstream et de la culture exigeante se mélangent et s’entrechoquent au sein d’un même monde proche de l’univers de Mike Kelley. Dans son Jardin des Délires, Frida Kahlo se réincarne en Kim Kardashian, Picasso se transforme en Miss France, la figure du monstre se renouvelle de façon obsessionnelle, mise en scène via la performance, la vidéo ou l’installation.

Une saga en perpétuelle évolution au fil des récits qui la nourrissent. Les différents alter egos, êtres hybrides et objets dysfonctionnels, se mélangent, fusionnent, se subdivisent autour du genre, de l’apparence, du rapport à soi, au monde, aux corps déconstruits. La culture de soi et des autres est amplifiée jusqu’à l’absurde. Dans ses performances, ou vidéos, tour à tour petite sirène migrante, déesse de l’ego ou encore chamane ces personnages peuplent un univers fantasmagorique et engagé, empreint d’une réalité brute, souvent au cœur de l’actualité.
Tous ces caractères communs aux créatures « monstrueuses » qu’elle incarne visent à mettre au jour la vérité du corps que tente de dissimuler une enveloppe charnelle illusoire, une quête de célébrité tyrannique, avec une question sous-tendue en permanence : c’est quoi être une femme, une artiste, un personnage, son propre reflet dans un monde inversé ?

Un troisième espace se dégage, un lieu où le rêve et la réalité s’imbriquent, se chevauchent et s’inspirent mutuellement selon le docteur Donald Winnicott*. Un espace propice à l’expérience pour l’enfant et un lieu de culture pour l’adulte. Cette narration-là prendra désormais une place importante dans son processus de création.

Inspirée par l’idée de créer sa propre mythologie, tel Massimo Furlan ou encore de mettre la poésie de l’étrange à l’honneur comme Tori Wranes, elle élabore ses récits comme des scénarios tirés d’expériences personnelles vécues, rêvées, réinventées où le spectateur autant que l’artiste se retrouvent confrontés à leurs joies et leurs peurs.

Ses contes se dissimulent dans une forme toujours changeante : sculptures, vidéos, images, magiques et anthropomorphiques dont la multitude sert de ressort à la fiction.
La bête est aussi belle qu’un Edward aux mains d’argent cisaillant la réalité pour lui conférer cette unique poétique de l’étrange.

Vittoria Matarrese

* Figure majeure de la psychanalyse enfantine